Durant les quelques matins qui succèdent à notre visite infructueuse du géant Pobeda, nous nous aventurons vers des sommets sans nom. Ils s’élèvent, débonnaires, autour de notre camp de base et puisque leur familiarité se précisait, nous ne pouvions manquer d’aller faire connaissance avec nos voisins.
Ainsi, nous partons apprivoiser ces imposants mastodontes. On se surprend à les tutoyer. Ils ont beau apparaître étrangers, il parlent, au fond, le même langage que les pics de chez nous…
Les piles d’assiettes qui croustillent sous nos semelles ne sont pas sans nous rappeler le terrain de l’Oisans !
Il est beau ce terrain : délité, voire très délité… La montagne fait un bruit de vaisselle brisée ! On évolue sur un champ de bataille millénaire, un sanctuaire où s’affrontent des forces qui nous échappent.
Chaque petit débris de schiste qui nous reste entre les doigts est une écaille de planète, le fragment élémentaire d’une gigantesque croûte tellurique.
Et nous, minuscules fourmis dans ce dédale improbable, nous oeuvrons lentement vers la lumière…
De sauts de cabri en goulets glacés, l’ascension est fastidieuse, mais ludique.
Ni kairn ici, ni marquage, bien sûr, seulement des jalons imaginaires dictés par notre instinct.
Et lorsque l’on s’aventure dans le brouillard, c’est à nous d’éclaircir le chemin !
Les arêtes déroulent, variées et rebondissantes: d’abord, l’univers minéral…
… puis, l’ambiance bleue et blanche du réfrigirateur. Les corniches appellent à taper le glaçon. Ca nous manquait un peu.
Nous sommes à près de 5000 mètres et toujours, plus loin, une nouvelle crête nous appelle, un nouveau mètre nous entraîne. Jamais tout-à-fait rassasiées, c’est la montagne qui nous avale : nous nous laissons aspirer !
L’exploration de voies non topographiées nous enchante. Nous prenons davantage de plaisir à explorer ces sommets annexes qu’à engager notre chair sur une voie normale trop parcourue. A chaque pas, nous avons la sensation que le monde s’élargit. A chaque pas, il nous semble faire ce saut vers l’inconnu dont on revient grandi.
Malgré son étrangeté, un dialogue se développe entre la montagne et nous. C’est sur ces itinéraires improvisés que l’alpinisme devient un art…
… non pas pour les techniques qu’on y développe, mais pour le langage qu’on y invente. Les territoires alpins nous invitent à nous exprimer pleinement, deviennent une scène, une toile, le cadre sans limite où nous réalisons notre plein potentiel.
La montagne se transforme en terrain d’expression. Elle nous invite à lire ses signes, à y laisser nos empreintes et à donner aux choses un sens nouveau.
Pour tous ceux qui, dans ces montagnes, ne voient que des blocs de glace ou des tas de cailloux, nous aimerions en devenir les interprètes.
Si c’était à refaire, je donnerais du prix aux choses ; non pour ce qu’elles valent, mais pour ce qu’elles représentent.
Et puis, vous aurez deviné que l’on aime bien, finalement, sortir des cases, quitter notre zone de confort, s’essayer à de nouveaux repères, oublier ce qu’est l’horizontalité, la verticalité. Sur les plus beaux itinéraires, la ligne droite n’existe pas.
Le véritable tour d’équilibre, c’est cette évolution sur le fil, à la frontière entre les mondes connus et inconnus, à la conquête de points de vue, à l’endroit même où s’ouvrent les perspectives nouvelles.
Merci Violaine, enfin la suite …. je commençais à désespérer 🙂
Salut Denis, j’ai pensé à toi en le publiant celui-là, je me suis dit qu’il fallait alimenter la perfusion 🙂 lol
Magnifique ! Vous l’êtes! Sur cette terre qui s’élève vers le ciel. Deux mondes qui se tutoient et dont vous retranscrivez très bellement le langage. Courage les interprètes pour la suite!
Superbe! J’avais cru que l’equation etait la fin du blog….
Tu m’étonnes ! 3 mois après le retour, il me restait quand même un petit goût d’inachevé (on n’a pas fini le 7000, il ne manquerait plus qu’on ne finisse pas le blog…). Voilà : tout est enfin dit !
Bonjour. Nous venons de lire une partie de votre blog car nous allons au Kyrgyzistan cet ete et nous aimerions avoir quelques infos sur le trek de Inylcheck.
Votre aide serait appreciee. Merci
Francois